Et si on politisait la fête des mères ?
27/05/2024
Hier c’était la fête des mères. Et j’ai un pote qui m’a dit que cette fête avait été rendue officielle par Pétain.
Moi, de nature curieuse, je me suis mise à chercher.
Alors, j’ai eu envie de partager ce que j’ai trouvé avec vous.
La fête des Mères en France, ça remonte à loin, bien au-delà de l’association courante avec le régime de Vichy et le maréchal Pétain. Dès la préhistoire, les sociétés rendaient hommage à des figures féminines symbolisant la fécondité et la puissance tribale, comme en témoignent les représentations de mères au bassin imposant telles que la Vénus de Willendorf. Dans l'Antiquité, les Grecs et les Romains avaient des fêtes pour honorer les femmes pour leurs vertus de fécondité et de protection. Les Grecs célébraient Rhéa, la mère des dieux, et les Romains avaient une fête pour la déesse Mater Matuta.
Avec l'avènement du christianisme au Moyen âge, les anciennes croyances païennes furent abandonnées, et la figure de Marie, mère de Jésus, devint l'archétype de la maternité dans la culture occidentale. La Sainte-Famille et le culte marial dominèrent alors, érigeant Marie en modèle de vertu féminine, maternité et piété.
Au cours de la fin du 18e siècle, les révolutions françaises ont tenté de séculariser cette symbolique chrétienne en instituant diverses célébrations de la maternité, comme la « journée des mères ». Cependant, ces initiatives n'ont pas perduré. C'est sous Napoléon Bonaparte que la structure familiale traditionnelle fut solidifiée, assignant les femmes à la conjugalité et à la maternité selon le Code civil.
Ensuite, au 19e siècle, l'idée de célébrer les mamans commence à se répandre en Europe et aux États-Unis avec le Mother’s day, introduit par Anna Jarvis (une militante américaine) mais ce n'est pas encore très populaire en France.
D’ailleurs, je voudrais m’attarder sur Anna Jarvis (1).
Anna Jarvis venait d’une adelphie de 13 enfants (pour votre information, une adelphie, mot que j’ai découvert il y a peu de temps, c’est le mot qui désigne un ensemble de frères et sœurs d’une même famille donc qui mélange la fratrie et la sororie.) Anna Jarvis voulait que le travail des mères soit reconnu. En voyant ce que le Mother’s day est devenu, elle a été horrifiée par la commercialisation de la fête et a même fait campagne pour son annulation tellement elle regrettait cette appropriation de la fête.
Au début du 20e siècle, en 1906, y'a une première fête des Mères à Artas, en Isère, où on récompense deux mamans de neuf enfants chacune. Après la Première Guerre mondiale, Lyon organise une journée pour honorer les mamans et les veuves de guerre en 1918.
Dans les années 1920, le gouvernement français commence à s'y intéresser pour encourager les familles nombreuses, et en 1920, ils lancent officiellement la "journée des mères de familles nombreuses".
En 1941, sous le régime de Vichy, le maréchal Pétain rend la fête des Mères officielle et fixe une date pour célébrer ça. L'idée, c'était de promouvoir la famille et les valeurs traditionnelles.
Après la Seconde Guerre mondiale, la fête des Mères devient vraiment une tradition. En 1950, c'est officiellement inscrit dans la loi et la date est fixée au dernier dimanche de mai, sauf si ça tombe en même temps que la Pentecôte, dans ce cas c'est décalé au premier dimanche de juin.
Aujourd'hui, on fête les mamans en leur offrant des cadeaux, des fleurs, et en leur faisant plein de petites attentions. C'est une journée spéciale pour montrer à nos mamans qu'on les aime et qu'on pense à elles.
Mais en fait, la fête des Mères a une dimension politique puisqu’elle a été instaurée pour encourager la natalité et promouvoir des valeurs traditionnelles.
Ça me fait penser à cette phrase d’Emmanuel Macron incitant les français au réarmement démographique.
Alors si l’institution de la fête des mères en France a effectivement des racines politiques, pourquoi ne pourrions nous pas la politiser.
La diversité des modèles familiaux actuels et la vision irréaliste de cette mère parfaite qui travaille et qui donne tout dans les tâches domestiques me permet de remettre en question sa pertinence. A titre d’exemple, 1 famille sur 3 est une famille monoparentale.
Et c’est sans compter que la Fête des mères est aujourd'hui fortement commercialisée. La fête des Mères, c'est bien sympa, on offre des fleurs coupés qui viennent du Kenya, ça fait les choux gras des fleuristes ; on parfait la panoplie de l’électroménager, “Moulinex libère la femme” c’est écrit, (2) mais en en réalité, on célèbre une idée un peu idéalisée de la maman parfaite, qu'on remercie une fois par an avec des cadeaux pour tous les sacrifices qu'elle fait. Ça reste quand même plein de stéréotypes et ça montre une vision assez traditionnelle de la famille, surtout dans un contexte où on veut pousser les gens à faire plus d'enfants tout en ne facilitant pas vraiment les choses.
Aujourd'hui, être maman en France, c'est souvent galère. Ce n’est pas pour rien qu’on fait de moins en moins d’enfants (3).
Devenir mamans aujourd’hui c’est risquer de s'appauvrir encore un peu plus.
Déjà en tant que femmes dans le secteur privé, vous touchez 24,4% de moins que les hommes en moyenne (4).
Ensuite si elle se met en couple, les inégalités se creusent avec une gestion du budget à 50/50 dans la plupart des couples. Or, dans 75% des cas, la femme a un revenu inférieur à celui de son conjoint. C’est la théorie du pot de yaourt de la Journaliste Titiou Lecoq (5) selon laquelle Monsieur rembourse le prêt à la banque (puisque plus gros salaire) et capitalise et madame achète les couches et paye les courses puisqu’elle en a la charge et le temps, donc s’appauvrit.
La course aux inégalités continue lorsque la femme devient mère (6) puisque la parentalité impose à hommes et femmes des rôles stéréotypés. Papa travaille et ramène l’argent et maman s’occupe des enfants. Encore hier, je discutais avec la maman d’une petite fille de 18 mois, somme toute, fatiguée par des nuits compliquées et désespérée d’apprendre que chez certains parents ça pouvait continuer jusqu’à 6 ans… Elle m’expliquait que son compagnon était restaurateur tout comme elle, donc a priori le même métier, avec des horaires du soir, mais que seule, elle, avait adapté son travail, en restant dans la restauration, mais en devenant fonctionnaire dans un cantine pour étudiant, avec des horaires de jour.
Là où je comprends parfaitement l’idée de modifier sa façon de travailler pour accueillir les premières années de vie de son enfant, je bloque d’entendre la maman en question me raconter son histoire sans mentionner le cruel manque de relais le soir, pendant ce fameux tunnel. Je me souviens pour ma part de longues minutes à attendre devant la porte, au bout du rouleau, bébé dans les bras en attendant que mon compagnon rentre du travail le soir, et espérer un peu de relais dans ce marathon invisibilisé, et d’entendre un : “qu’est ce que tu as fait aujourd’hui ?” et je répondais “bah rien, je me suis occupée de bébé”, comme si cela ne demandait pas une énergie de dingue de rester à la maison pour s’occuper de son enfant, après ce premier marathon qu’est la grossesse et l’accouchement.
Malgré l'entrée massive des femmes sur le marché du travail au siècle dernier, on aurait pu espérer une redistribution équitable des tâches domestiques. Ce qui est loin d’être le cas. Au lieu de cela, les femmes ont été amenées à croire qu'elles pouvaient tout concilier : carrière et enfants, endossant ainsi une charge de travail supplémentaire considérable.
20 % des femmes basculent en effet dans la pauvreté au moment du divorce contre 8 % des hommes. Une inégalité économique qui s’intensifie quand la femme est mère puisque 40 % des familles monoparentales vivent en effet sous le seuil de Pauvreté, et 82% des familles monoparentales sont des femmes.
Sur le marché du travail, les mamans en bavent. Elles ne voient pas toujours leurs salaires rattrapés après un congé maternité, les primes au prorata de leur présence, les promotions sont souvent refusées, et elles peuvent même se retrouver mises au placard ou harcelées (8). En moyenne, après une naissance, le salaire des mamans baisse de 200 euros par mois.
Dans les couples, 16 % des mamans disent qu'elles ne travaillent pas à cause des enfants, contre seulement 4 % des papas (9). Plus il y a d'enfants, plus l'écart de salaire entre hommes et femmes se creuse dans le privé. Une famille sur quatre est monoparentale, et dans 80 % des cas, c'est une maman seule. Ces familles sont souvent dans des situations précaires, et 21 % d'entre elles connaissent des problèmes de logement (10).
Au-delà des violences économiques, ce sont les violences physiques et psychologiques que subissent les mères.
Pendant la grossesse, près de 10 % des femmes subissent des violences conjugales (11). Les violences peuvent commencer ou empirer pendant cette période (12). 40 % des femmes enceintes maltraitées disent que la grossesse a déclenché ces violences (13). En France, 1 femme sur 5 subit une épisiotomie lors de l'accouchement, et la moitié d'entre elles disent qu'on ne leur a pas expliqué pourquoi (14). La maternité a aussi un impact psychologique énorme. Près de 20 % des mamans vivent une dépression post-partum.
Et pour finir, au-delà des violences physiques et psychologiques, il y a la mort.
À cause du manque de soutien psychologique et de l'isolement, le suicide est devenu la première cause de mortalité chez les mères, devant les maladies cardio-vasculaires (15), qui sont elles mêmes très mal diagnostiquées et souvent avec retard (16). 1 mère meurt tous les 4 jours en France à cause de complications liées à la grossesse ou à l'accouchement , alors que 60 % de ces décès pourraient être évités (17). Enfin, sur les 118 féminicides en 2022, 61 % des victimes étaient des mamans (18).
Les discours publics culpabilisent les mères, alors que la société n'offre pas de soutien adéquat, comme des places en crèche, un espace public adapté, une égalité des chances… Pour une vraie politique de parentélité, c’est une approche féministe de la parentalité qui doit être abordée (féministe dans le sens égalité des droits et des opportunités), et non des mesurettes de bout de chandelles…
Voici ce qu’il est possible de faire, chacun à son échelle :
Remettre l’église au milieu du village en ce qui concerne la #FêteDesMères en levant les tabous sur la réalité du quotidien des mères 2024 en France !
Relayer les articles, posts, appels à bénévolat, comptes des personnes qui luttent pour ces droits. Chacun peut contribuer à son échelle.
Aider les parents autour de vous. Ne donnez pas de conseils, ils ne vous ont rien demandé, mais sachez qu’elles sont seules, ces mamans. Alors soyez présent.es, donnez leur du temps, de l’écoute et de l’amour. Elles en ont besoin !
Parce que Maman se (re)belle,
Anaïs
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(1) https://www.scienceshumaines.com/la-veritable-histoire-de-la-fete-des-meres_fr_45286.html#
(2) https://www.bbc.com/afrique/monde-52636049
(4) https://inegalites.fr/femmes-hommes-salaires-inegalites
(7) https://fondationdesfemmes.org/telechargements/cout-du-divorce/
(10) Rapport de la collective des mères isolées, p.7 https://static.mediapart.fr/files/2022/07/06/programme-cmi.pdf
(11) La grossesse à l’épreuve des violences conjugales, Muriel Salmona - 2021 https://www.memoiretraumatique.org/assets/files/v1/Articles-Dr-MSalmona/2016-Grossesse_et_violences_conjugales.pdf
(15) Etude conjointe de Santé publique France et de l’Inserm, 2024, sur les morts maternelles en France de 2016 à 2018 https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/maladies-cardiovasculaires-et-accident-vasculaire-cerebral/maladies-vasculaires-de-la-grossesse/documents/enquetes-etudes/les-morts-maternelles-en-france-mieux-comprendre-pour-mieux-prevenir.-7e-rapport-de-l-enquete-nationale-confidentielle-sur-les-morts-maternelles
(16) Le cœur des femmes tombe malade différemment (et leur cerveau aussi) - Alyson McGregor, Dans Le sexe de la santé (2021), pages 49 à 75, https://www.cairn.info/le-sexe-de-la-sante--9782749269498.htm
(17) Inserm et Santé public, op citée
https://www.feminicides.fr/statistiques2022